Triste conquête

Détail d’une Vignette du Codex de Florence : les Espagnols se débarrassent des corps de Moctezuma et de Itzquauhtzin

‑ Oh huey tlatoani, les Castillans sont là, annonça le messager.
Résigné, Moctezuma fit appeler ses pages, qui lui passèrent ses plus beaux vêtements.

Cela faisait des semaines que l’empereur Aztèque se préparait à ce moment, qu’il avait tenté de conjurer par tous les moyens. Il avait imploré les dieux de lui venir en aide et lui accorder la victoire contre les hommes blancs ; mais les idoles étaient restées sourdes à ses prières. Il avait envoyé des émissaires chargés de plumes et de bijoux, de vêtements et de vivres, afin de décliner poliment les demandes de visite des conquistadors. Mais ceux-ci avaient insisté. Lorsque Cortés avait fait alliance avec les Tlaxcaltèques, ennemis jurés des Aztèques, Moctezuma avait expédié les plus somptueux présents, pour affirmer sa position dominante. Il avait enfin plaidé, promis quantité d’or et d’argent en cadeau au monarque d’Espagne, à la condition que les envahisseurs fassent demi-tour. Rien n’y avait fait. Les Castillans étaient maintenant aux portes de Tenochtitlan, la capitale de l’empire.

Moctezuma et sa garde de 200 chefs se mirent en route, descendant l’avenue principale de la ville. Âgé d’une quarantaine d’années, grand et mince, le souverain portait une courte barbe noire qui contrastait avec son teint clair. Son apparence, ses gestes, respiraient une gravité calme. Il accueillit Cortés avec un discours grandiose :
‑ Vous avez connu la douleur, vous avez connu la fatigue. Vous êtes venus jusqu’ici, votre haut lieu du Mexique, vous êtes descendus sur votre trône, que j’ai brièvement gardé pour vous. Entrez, reposez vos membres, faites venir nos seigneurs sur terre.
Moctezuma repartit ensuite vers sa résidence, sans se retourner. Ses paroles n’étaient nullement une invitation, sa politesse était une énième tentative pour asseoir sa supériorité et repousser l’ennemi. Ignorant ce raffinement de la culture Aztèque, les étrangers le suivirent jusqu’à son palais.

Maintenant que les Espagnols étaient là, l’empereur mit un point d’honneur à les traiter en invités de marque. Ses meilleurs hommes les promenèrent dans la métropole d’un demi-million d’habitants, aux rues larges et veinées de nombreux canaux sur lesquels grouillaient les gondoles. Les Castillans voulaient tout savoir sur les temples et les palais, les jardins zoologiques, les marchés, les jardins flottants qui nourrissaient toute la ville. Moctezuma répondait poliment aux questions, et en posait lui aussi.
‑ J’ai entendu parler de vos armes magiques à rayons et à feu. Puis-je en voir une ? demanda-t-il à Cortés.
Il examina attentivement le pistolet, puis conclut :
‑ Cela fonctionne comme une sarbacane.

Les semaines s’écoulèrent ainsi. La proximité finit par endormir la vigilance de Moctezuma. Quelle stupeur lorsque Cortés et cinq de ses lieutenants tirèrent leurs épées de leurs fourreaux ! Lames acérées sous la gorge, le huey tlatoani dut s’incliner. Ses invités étaient devenus ses geôliers. Et tout ce qui lui appartenait était désormais à eux.

Le plus étrange fut que la vie continua comme si de rien n’était. Bien qu’otage, l’empereur était libre d’aller et venir dans son royaume, et aucun de ses sujets ne remarqua quoi que ce soit. Comment auraient-ils pu, eux qui n’avaient pas le droit de lever les yeux sur le souverain, sous peine de mort ? Surtout, Moctezuma ne laissa rien paraître de la terrible vérité. Pas par vanité, mais parce qu’empêcher que la guerre ne s’installe dans Tenochtitlan était devenu son obsession. Cortés n’avait-il pas fait incendier Cholula et massacrer tous ses habitants ? N’avait-il pas fait comprendre au huey tlatoani que tant qu’il serait traité avec respect, et qu’on lui donnerait tout l’or qu’il exigeait, nul n’aurait à craindre sa colère ? Surtout, les oracles n’avaient-ils pas prédit de grandes épreuves et d’immenses souffrances pour le peuple Aztèque ? Souverain déchu, marionnette des Castillans, sa mission était désormais de conserver la paix. Son pouvoir n’était plus, ses richesses étaient pillées, mais ces pertes étaient bien peu comparées à tout le sang épargné.

Cortés annonça un jour à Moctezuma qu’il devait se rendre à Vera Cruz pour régler une affaire d’importance.
‑ En mon absence, mon capitaine Pedro de Alvarado sera aux commandes, expliqua-t-il.
Le huey tlatoani aurait pu profiter de l’éloignement du conquistador pour préparer un soulèvement. Mais la peur des terribles conséquences en cas d’échec le paralysa. Au lieu de cela, il fit organiser les célébrations pour la fête en l’honneur du dieu Tezcatlipoca.

La cérémonie battait son plein dans le Templo Mayor, les chants et les danses s’élevaient vers le ciel, lorsque l’impensable se produit : des Espagnols en armes pénétrèrent dans le temple et y perpétrèrent un massacre. Musiciens, prêtres, nobles, tous eurent les mains et le cou coupés, les entrailles déchirées. Moctezuma, exfiltré dès les premières effusions de sang, s’enferma dans ses appartements et sombra dans l’apathie.

Les Aztèques ne supportèrent pas le carnage et se rebellèrent contre les Castillans. À son retour précipité à Tenochtitlan, Cortés fut accueilli par des jets de pierres. Le conquistador somma Moctezuma d’appeler ses sujets au calme. Sur le balcon de son palais, encore sous le choc, le huey tlatoani, « le grand orateur » en langue nahuatl, ne sut pas, pour une fois, trouver les mots.
‑ Moctezuma, tu t’es livré aux Espagnols comme une femme, et tu nous as abandonnés à un destin de souffrance et de soumission ! fut la seule réponse à ses supplications d’apaisement.
La colère du peuple ne fit que gonfler.

De retour à l’intérieur, désormais otage inutile, Moctezuma fut étranglé par les Espagnols.
Ainsi mourut l’un des derniers empereurs de Tenochtitlan. Avec lui, disparaissait déjà la civilisation Aztèque, qui ne résista qu’une année supplémentaire aux envahisseurs. Bien qu’ils n’aient été que quelques centaines, les Castillans avaient gagné grâce à des armes inconnues des indigènes : la poudre, le mensonge, et le virus de la variole.

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