Manque de pot

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Depuis son arrivée à la prison de Pentridge, dans la banlieue nord de Melbourne, Peter Hurley n’a qu’une idée en tête : en sortir. Condamné à 15 ans pour escroquerie, il ne veut pas passer ce qu’il lui reste de jeunesse dans ce trou. Tout ce dont il a envie, c’est de se la couler douce au soleil, aux côtés de Dorothy, sa petite amie. Elle est belle, Dorothy. Ca lui fout les nerfs, à Peter, de ne plus pouvoir se blottir la nuit contre son corps rond et chaud. Ce corps qui n’arrête pas de s’arrondir, vu qu’il lui a mis un polichinelle dans le tiroir avant de tomber. Il faut qu’il sorte de là, et vite.

Le soir, allongé sur sa couchette inconfortable et infestée de punaises de lit, il repasse en boucle dans sa tête les films de Steve McQueen. Le Roi du cool est son idole, surtout dans ses rôles où il se fait la malle. Peter se rêve en Capitaine Virgil Hilts dans La Grande Evasion, même s’il ne sait pas trop où commencer pour creuser un tunnel à Pentridge.

En prison, il n’y a pas beaucoup de distractions. Heureusement qu’il y a la télé, que les détenus peuvent regarder une heure chaque soir dans la cantine. Ca change les idées. Parfois même, ça en donne, des idées. C’est ce qui est arrivé à Hurley un soir, pendant la coupure publicitaire. Tout est parti d’une réclame pour de la colle à papier. Deux types badigeonnent de Solvite une grande planche en bois, sur laquelle ils plaquent une salopette blanche ; un troisième gars se glisse dans la salopette, après quoi la planche en bois est soulevée du sol par un hélicoptère. Le bonhomme et la salopette sont ainsi baladés des heures au-dessus des gratte-ciels de Miami. Peter comprend immédiatement qu’il tient là la clé de son évasion. Surexcité par cette révélation, il ne ferme pas l’œil de la nuit.

Il expose son plan à Dorothy au parloir le surlendemain.
– Comment ça, tu vas te planquer sous la camionnette du blanchisseur ? souffle Dorothy, estomaquée.
Hurley jette un coup d’œil nerveux au gardien, dont la vigilance ne semble heureusement pas avoir été éveillée.
– Deux mois que je suis là, que je surveille toutes les entrées et sorties de Pentridge. Le fourgon qui part à la laverie est le meilleur plan. Je pensais me planquer dans un panier à linge, mais la Solvite a élargi mon horizon. Tapi dans la camionnette, je me ferais pour sûr pincer avant d’avoir passé le portail ; mais qui penserait à me chercher dessous ?
– Et comment tu vas te la procurer, cette fameuse colle magique ? demande Dorothy, dubitative.
– C’est là que tu entres en jeu, bébé.

La semaine suivante, Dorothy se présente à nouveau au parloir, un sachet de Solvite scotché contre son ventre. En plus d’abriter la vie, son bidon offre un espoir de liberté. Les gardiens fouillent certes les compagnes des prisonniers, mais aucun n’oserait palper le giron d’une femme enceinte. Lorsque le maton regarde ailleurs, Dorothy passe le précieux sachet à son amant sous la table.
– Une fois dehors, j’irai en planque chez Dave, glisse Peter à sa belle. Puis on avisera.

Ne manquent à Hurley que le matériel nécessaire pour dissoudre la poudre, reconstituer la colle, puis l’appliquer. Il fait preuve d’une passion soudaine pour les travaux d’intérêt général à Pentridge : ménage pour un seau, peinture des couloirs pour un pinceau. Il convainc même un de ses codétenus de l’assister le jour J, en échange d’une somme rondelette qu’il paiera une fois dehors. Il est enfin prêt.

Le lundi, le fourgon du blanchisseur est là à 8 heures, comme d’habitude. Comme d’habitude le visiteur se gare derrière la buanderie, puis va prendre un café avec quelques surveillants, histoire d’échanger les dernières nouvelles. Peter a un quart d’heure pour agir. Pour éviter que la glue ne passe à travers le tissu et adhère à sa peau, il a enfilé deux autres salopettes, piochées dans un bac de linge sale, sur son propre uniforme.
– Tu me badigeonnes tout l’arrière de colle, ordonne-t-il à son comparse.
Ce dernier s’exécute, puis Hurley se glisse à la hâte sous la camionnette. Poussant sur ses coudes et ses genoux, il plaque son dos et ses fessiers contre le châssis, priant pour une adhésion rapide et solide.

Le blanchisseur démarre enfin le moteur, c’est le moment de vérité. Dès que le fourgon commence à bouger, Peter soulève ses bras et jambes du sol. Et ça marche ! Il lévite littéralement, à une dizaine de centimètres du sol. Son cœur bat à tout rompre lorsque le véhicule franchit le portail du pénitencier.

Les quelques kilomètres qui séparent Pentridge de l’entrée de Melbourne sont pour Peter un mélange de jubilation et d’agonie. Il exulte d’être parvenu à se faire la belle si facilement, tout en craignant à tout instant qu’un de ses membres, ou pire son visage, heurte le sol si proche. Un nid de poule, une pierre sur la route, et c’est la blessure assurée. Pour se donner du courage, il pense aux bras de Dorothy, à son fils qui naîtra bientôt.

Le véhicule arrive enfin dans le hangar de la blanchisserie. Peter se mord l’intérieur de la bouche de toutes ses forces pour ne pas hurler de joie. Son héros, Steve McQueen, serait fier de lui ! Dès que l’employé de la blanchisserie s’éclipse avec le linge sale, il entame sa libération totale. Il saisit la tirette de la fermeture éclair de la salopette, et la tire vers le bas. Mais rien ne se passe ! Hurley essaye à nouveau d’ouvrir la glissière, toujours sans succès. Dégoulinant de sueur, il tire dessus à deux mains et de toutes ses forces, mais il doit se rendre à l’évidence : la Solvite a coulé dans la fermeture. Il est maintenant prisonnier de son uniforme.

S’ensuit pour Peter une très longue journée. Collé au châssis du fourgon, il tente toutes les contorsions possibles pour s’extraire de la salopette, refusant d’abdiquer. A dix-sept heures, le véhicule repart pour Pentridge avec son chargement de linge propre, et le fugitif en-dessous. De retour dans la cour, affamé et déshydraté, épuisé et dégoûté, Hurley se résout à crier au secours. Il écopera de deux ans supplémentaires et du surnom de Spider Man.

4 Comments

  1. Monique BEY

    Ton texte tient en haleine jusqu’au bout. On imagine que Peter va retrouver sa liberté mais la chance n’est pas au rendez-vous, j’étais loin d’imaginer que cet incident pouvait se produire. J’aime beaucoup la description du déroulement de ton histoire. Très admirative de tes écrits !!!

  2. Valérie Bey

    Merci ! C’est basé sur une histoire vraie, qui à mon avis s’est déroulée à la fin des années 70. On est presque désolé pour ce prisonnier, dont l’inventivité aurait mérité d’être récompensée.

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